Pierre et Lucie sont frère et soeur, vivant entre leurs études, leurs amis d'enfance, leur groupe de rock, leurs histoires d'amour...
Pourtant un soir, Pierre ne rentre pas chez lui. Lucie et sa mère s'inquiètent. La police finit par découvrir son corps sans vie. Pierre a été battu à mort.
Sans piste, l'enquête piétine. Lucie est déterminée à découvrir la vérité et traque les suspects...
"Chacun sa nuit" : une jeunesse qui porte le deuil de toutes les espérances
A titre d'acteur ou de réalisateur, un parfum d'étrangeté flotte toujours autour de Jean-Marc Barr, à commencer par ses origines franco-américaines qui le situent à cheval sur l'Ancien et le Nouveau Continent. A peine remonté de la plongée en eau profonde du Grand Bleu, de Luc Besson, il trouve comme acteur un deuxième souffle chez Lars von Trier (Europa, Breaking the Waves), avant d'entamer sa carrière comme cinéaste sous le signe du Dogme avec Lovers (1999), puis Too Much Flesh et Being Light (2001), qui forment ce qu'il nomme avec son complice Pascal Arnold une "trilogie de la liberté". On retrouve le duo avec Chacun sa nuit, sur les bases qu'on leur connaît : tournage en vidéo numérique, économie restreinte, utopie de la dynamique de groupe et de l'innocence perdue, mystique d'une image du corps et de la sexualité soustraite aux clichés ambiants.
Inspiré d'un fait divers sanglant dont les protagonistes sont des adolescents,Chacun sa nuit relève néanmoins son défi : celui du juste raccord entre le panthéisme solaire qui fonde la philosophie des auteurs et la barbarie d'un événement dont l'opacité lui résiste. Un inexplicable assassinat est au coeur du film, celui de Pierre, que sa soeur, Lucie, ainsi que ses amis, Sébastien, Baptiste et Nicolas, vont entreprendre d'élucider en l'absence de résultat tangible de la police. La manière dont Barr et Arnold résolvent cette quadrature du cercle consiste à concilier enquête policière et chronique de moeurs, brouillant les pistes de la première, embrouillant la chronologie de la seconde, et mettant l'une et l'autre au service de leur credo : la libre disposition par les individus de leur corps et de leur esprit.
BISEXUALITÉ SANS COMPLEXE
L'enquête est principalement menée par Lucie, qui n'hésite pas à jouer tous azimuts de ses charmes pour obtenir des informations, notamment auprès du jeune inspecteur de police chargé du dossier. La chronique révèle de son côté, par de fréquents retours en arrière, que son frère ne procédait pas autrement qu'elle, monnayant sans état d'âme sa jeunesse dans des parties fines, menant avec sa soeur une relation d'une incestueuse proximité et vivant sans complexe sa bisexualité.
Les deux voies principales par lesquelles le récit se construit se révèlent en ce sens assez semblables dans leur peinture d'une jeunesse qui, au sein d'une société qui porte le deuil de toutes les espérances, n'a plus guère que son corps à engager. Le risque de cet engagement est, au fond, le grand sujet de ce film. Avec sa manière de se tenir obstinément au plus près des corps. Avec le caractère inopiné de ses retours en arrière qui ne cessent de réinsérer la présence du mort dans la trame d'une réalité à laquelle il n'appartient pourtant plus. Avec cette tentation d'effacer la frontière entre passé et présent comme entre vie et mort.
L'abrupte désinvolture avec laquelle est amené le dénouement de l'histoire le dit aussi bien : ce n'est pas l'élucidation circonstancielle du crime qui a intéressé les auteurs, c'est la relation que le spectateur instaurera entre sa scandaleuse absence d'explication et l'expérience hédoniste dans lequel le film inscrit désespérément ses protagonistes.Film français de Jean-Marc Barr et Pascal Arnold avec Lizzie Brocheré,Arthur Dupont, Guillaume Baaché, Pierre Perrier, Nicolas Nollet. (1 h 35.)