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mercredi 11 juillet 2012

homosexualité et histoire musulmane





« Dans leur langue, il n’est pas louable qu’un homme exprime sa passion pour un jeune homme. Ils réprouvent fortement ce genre d’expression. C’est pour cela, quand ils veulent traduire nos livres, ils remplacent « j’aime un jeune homme » par « j’aime une jeune femme » ou par « j’aime une personne » pour ne pas être dans l’embarras. Ecrire sur ces choses-là est une pure perversion pour eux.» L’auteur de ces lignes n’est pas un écrivain européen ou un journaliste américain déplorant le sort de la littérature gay dans les zones tribales afghanes mais un voyageur égyptien décrivant les mœurs du peuple…..français au 19éme siècle. 

Dans cet extrait de ses souvenirs de voyage à Paris, le cheikh Rifaa Tahtawi, explique comment les écrivains français étaient gênés et embarrassés à l’idée de traduire en français, des poèmes et des contes arabes célébrant la beauté masculine ou évoquant des amours homosexuels. Les traducteurs européens déployaient alors des trésors de ruses pour ne pas choquer leurs lecteurs avec cette littérature libertine et « étrangère » aux mœurs des Européens à l’époque. 

Dans A la recherche du temps perdu, Marcel Proust se rappelle de l’hésitation de sa mère à lui offrir l’une des deux traductions disponibles de Mille et une Nuits : la première, plus ou moins fidèle au texte originel en arabe, ou une autre, élaguée et expurgée de tout contenu érotique ou homosexuel. Pour ces sociétés européennes, la perversion, le libertinage et la corruption morale venaient de l’autre, du musulman et sa littérature arabe, persane ou turque. Autre exemple de cet effet de miroir et d’inversion des discours : Joseph Pitts, un jeune anglais capturé par des corsaires algériens au 17éme siècle, décrit dans ses mémoires, non sans aversion et horreur, comment à Alger « les hommes tombent amoureux des garçons, comme en Angleterre ils le feraient avec des femmes ». 

Ces exemples peuvent faire sourire ou irriter. Surtout si l’on tient à l’idée, largement répandue actuellement, considérant l’homosexualité comme une mode étrangère, une perversion occidentale que des esprits malintentionnés tentent d’importer dans nos chastes contrées musulmanes. Les tenants de ce discours, conservateur et binaire, esquive ainsi tout un pan de l’histoire et de la culture musulmanes. Exit donc la poésie libertine arabe et persane, adieu les traités érotiques, écrits pourtant par des théologiens musulmans, et Abou Nouass, Omar El Khayam et Aljahiz, auteurs de textes à caractère homosexuel, n’ont jamais existé. Pourtant, une histoire musulmane de l’homosexualité existe et elle éclaire différemment l’évolution des sociétés musulmanes et leurs rapports avec la sexualité et le plaisir. 


Le mythe de Sodome

En tant que religion et textes sacrés, l’Islam interdit l’homosexualité et la considère comme un vice et une turpitude. Sur ce point, l’Islam s’inscrit dans la continuité des autres religions monothéistes en reprenant l’histoire de Sodome et le sort du peuple de Loth pour interdire l’homosexualité. Comme l’explique Abdelwahab Boudhiba dans La sexualité en Islam (PUF. 1975), l’Islam a une vision du couple fondée sur « l’harmonie préétablie et préméditée des sexes » et qui suppose une complémentarité foncière du masculin et du féminin. Le but de cette complémentarité est la jouissance et le plaisir, mais aussi et surtout la procréation et la perpétuation de la race humaine. Dans cet esprit, l’homosexualité serait une violation d’une harmonie naturelle et une menace d’anarchie et de déséquilibre. 
Le coran ne précise pas de châtiment spécifique sanctionnant l’acte homosexuel, ce qui ouvre la porte à tout un débat théologique sur la nature de la punition. D’après un hadith du prophète, la sanction doit être la peine de mort, reproduisant par cela le châtiment divin qui s’est abattu sur le peuple de Loth. Toutefois, la similitude avec Zina (la fornication) est évoquée par certains ulémas musulmans pour établir des graduations dans la sanction : la lapidation jusqu’à la mort réservée à l’homosexuel marié, et des coups de fouets pour le célibataire. 

L’homosexualité féminine est traitée avec une indulgence relative. Elle n’est pas assimilée ni à la fornication ni à l’homosexualité masculine. Les Sihakyats (lesbiennes) font l’objet d’une simple réprimande laissée à la discrétion du juge. L’absence de pénétration anale, qui définit l’homosexualité aux yeux des théologiens musulmans, explique vraisemblablement cette « mansuétude ». 
Les exigences de preuve de l’homosexualité, dans la théologie musulmane, sont les mêmes que dans le cas de la fornication: Quatre témoins doivent attester avoir vu et discerné une pénétration totale, ou bien un aveu sans rétractation des personnes concernées. Des exigences draconiennes qui rendent quasiment inapplicables les sanctions qui frappent les pratiques homosexuelles. Fréderic Lagrange remarque dans son livre Islam d’interdits, Islam de Jouissance (Editions Téraèdre 2008), que le juriste musulman remercie souvent Dieu « de pouvoir cacher les vices des croyants qui ne sont pas ostentatoires dans leur transgression de la loi divine ». Mais l’évolution de la société musulmane, suite aux conquêtes militaires et au contact avec d’autres civilisations, a produit des réalités nouvelles et des modes de vie différents de ce que le texte religieux prescrit et interdit. L’élargissement de l’empire musulman, et notamment sous la dynastie abbasside, a engendré un changement des valeurs et des normes, et de nouvelles habitudes sont apparues. Les amours masculins n’étaient plus dissimulés, cachés et réprimés, mais ils étaient affichée, proclamés et tolérés. Ces amours masculins n’étaient pas uniquement charnels et sexuels, mais aussi philosophiques et mystiques. 


Califes amoureux 

Dans son Histoire des califes, le théologien et historien égyptien Jalaldine Assayouty, fournit la description suivante du calife abbasside Al Amine, « Il achetait, sans compter, des eunuques, qu’il réservait à son plaisir, renonçant ainsi à ses femmes et ses concubines ». Al Amine, fils et successeur du grand calife Haroun Arrachid, vouait un amour démesuré à certains de ses esclaves mâles, et composait pour eux des poèmes où il manifestait sa passion et sa flamme. Al Amine, dont l’empire s’étendait du Maghreb jusqu’à la chine, décrit ainsi son serviteur Kawthar dans l’un de ses poèmes « Kawthar est ma religion et ma vie, ma maladie et mon médecin. Bien injuste est celui qui blâme un cœur pour son amour ». D’autres califes abbassides, comme Al Moâtassim et Al Wathiq, se livraient au même exercice littéraire, en écrivant des poèmes d’amour dédiés aux jeunes garçons et éphèbes. Assayouty, grand théologien malékite, nous informe toujours à ce propos que le calife Al Moâtassim, avait « un mignon d’une beauté exceptionnelle qui s’appelait Ajib, et dont il était follement amoureux». 

Ces quelques exemples renseignent sur les changements qui ont touché la société musulmane, lors de son passage, d’un petit Etat désertique à un empire qui domine le monde. Les rapports avec l’homosexualité ont également muté. Ce qui relevait de la turpitude qu’il fallait taire et cacher est devenu une pratique courante et consacrée même pas les califes, détenteurs du pouvoir politique mais également spirituel et religieux. 

Dans son traité historique Albidaya wa Alnihaya, Ibn Kathir juriste et théologien syrien du 14éme siècle, se plaint du fait que l’homosexualité touchait « la majorité des rois et des princes, mais aussi les commerçant, les gens ordinaires, les écrivains, les ulémas et les juges, sauf ceux que Dieu a voulu préserver de ce vice ». Quant à Al Maqrizi, l’historien égyptien du 15éme siècle, cité par Malek Chebel dans Le dictionnaire amoureux de l’Islam (Editions Plon.2004) il écrivait que de son temps « l’homosexualité était si répandue que les femmes devaient s’habiller en hommes pour avoir grâce aux yeux de leurs prétendants ». Cette mutation mentale et culturelle s’explique par l’influence qu’ont exercée les cultures et civilisations annexées par les conquêtes militaires musulmanes. L’héritage grec, persan et hindou ont été déterminants dans ce changement culturel. 


Ephèbes 

L’un des premiers textes littéraires en arabe traitant de la question de l’homosexualité est Mofakharat Alghilman wa Aljawari d’Al Jahiz (traduit en français par l’écrivain marocain Maati Kabbal sous le titre Ephèbes et courtisanes. Payot. 2008). Dans ce livre, écrit sous forme de dialogue, deux hommes débattent de leurs préférences sexuelles : Le premier expose les raisons de son amour pour les jeunes garçons, tandis que le second défend sa passion pour les femmes. 
Le dialogue entre les deux hommes est un petit bijou de l’art de la polémique très prisé dans la littérature arabe classique. Toutes les références sont mobilisées pour damer le pion à son interlocuteur et appuyer ses positions : la poésie, l’histoire, les anecdotes drôles et croustillantes, mais aussi les hadiths et les versets coraniques. L’amoureux des femmes évoque sans problème des dits du prophète rendant hommage aux femmes et à leur mérite, mais, le passionné par les jeunes garçons trouve dans le Coran des versets qui soutiennent son goût et les cite. Il s’agit de deux versets du Coran, décrivant les plaisirs du paradis auxquels vont gouter les croyants. Parmi ces plaisirs, les versets promettent des garçons beaux « comme des perles conservées », selon l’expression coranique, réservés au service des heureux élus. 
Cet argument peut étonner, mais il est souvent utilisé dans les récits historiques et littéraires pour justifier l’amour des éphèbes. Yahya Ibn Aktham, Qadi al qodat (plus haut grade de la magistrature musulmane) sous le calife Al Mamoun, recourait également à cet argument pour expliquer ses goûts sexuels et son penchant pour les garçons. Sur le ton de la boutade, ce génie de la théologie musulmane comme on le décrivait dans les livres d’Histoire, disait « pourquoi ne pas désirer sur terre ce que Dieu réserve à ses fidèles au paradis ?». 
Il est stupéfiant de constater que les écrivains musulmans, souvent des ulémas et des hommes de religion, ne trouvaient pas de gène ou d’embarras à citer des histoires et des poèmes célébrant l’homosexualité. Pour beaucoup d’entre eux, cela relevait de la simple connaissance encyclopédique et de l’érudition. Célébrer la beauté masculine et déclarer son amour à un jeune éphèbe n’avaient pas tout le temps une connotation sexuelle et ne couvait pas un désir de jouissance. Dans certains cas, il s’agissait tout simplement d’un simple jeu littéraire, une démonstration de la maitrise du verbe et son maniement dans les différentes situations. D’autres formes de passions homosexuelles dans l’histoire musulmane, ressemblent plutôt à un amour platonique ne débouchant pas forcément sur des relations sexuelles. Ces manifestations d’amour platonique entre des personnes du même sexe, sont très présentes dans la littérature mystique musulmane. 


Amour platonique 


Le collier de la colombe de l’andalou Ibn Hazm est certainement l’un des plus beaux livres en arabe sur les thèmes de l’amour. Un livre plein de délicatesse, de spleen et de sensibilité. Ibn Hazm était aussi un homme de religion et fondateur d’un rite très rigoriste et ultra-orthodoxe. Dans Le collier de la colombe, ce juriste et théologien citait sans jugement ni distinction les passions homosexuelles aussi bien que les amours hétérosexuels. Pour lui, tous les récits, anecdotes et poèmes méritent d’être cités quand elles ont pour unique thème : l’amour chaste et platonique. Ibn Hazm avait une vision romantique et mélancolique de l’amour, qui se définissait selon lui par le tumulte des sentiments et la passion pour l’être aimé, sans que le corps ne vienne pervertir tout ça, et surtout dans un cadre illicite. L’amour d’un homme pour une personne du même sexe entrait dans cette définition, d’où les exemples d’amour homosexuel qu’Ibn Hazm utilise dans son livre. 

Sur cet aspect, la littérature musulmane reprend des thèmes qu’on retrouve déjà chez les grecs antiques, notamment celui de « l’exaltation de l’amitié amoureuse pour les éphèbes » comme le remarque Fréderic Lagrange. Dans Le Banquet de Platon, un autre beau livre sur l’amour, il est question dans l’un de ses passages, de l’amour idéal et passionné qui liait le philosophe Socrate à son disciple Alcibiade. Le philosophe grec apprend à son disciple, jeune et beau, que l’amour spirituel et intellectuel est plus intense et plus durable que la rencontre des corps voués à s’affaiblir un jour. L’essence même de ce qu’on nomme de nos jours l’amour platonique. 

On retrouve fortement cette idée chez les mystiques musulmans qui conçoivent l’accompagnement d’un jeune homme comme une initiation spirituelle et l’amour entre les deux hommes comme une forme d’amour divin. Dans Massarii Al’ochaq (Les sorts des amoureux) le cheikh Abou Mohammed Al Qarii, raconte l’histoire d’un soufi musulman, affecté et peiné par la mort d’un jeune homme dont il ne se séparait jamais. Le soufi a pleuré toutes les larmes de son corps après la disparition de son compagnon, et passait des journées entières, debout, face à la tombe du jeune garçon. Un jour, on l’a retrouvé mort au pied de la sépulture de son bien-aimé. Les mille et une nuits foisonnent également d’histoires de mystiques follement amoureux de jeunes garçons, mais un amour chaste et platonique (voir encadré). 

L World 
Objet de fantasmes orientalistes et lié souvent au hammam et au harem, le lesbianisme en histoire musulmane demeure très mal connu. Les sources sont rares, et les femmes dans une société fortement masculine ne pouvaient pas s’exprimer elles-mêmes sur ce sujet. Bien que l’homosexualité féminine soit sanctionnée avec moins de sévérité que l’homosexualité masculine.

Chihabeddine Al Tifachi, juriste tunisien du 13éme siècle, a consacré une partie de son livre Nozhat Al Albab (Le plaisir des esprits) au lesbianisme. Le cadi tunisien fournit dans cette partie des explications « scientifiques » sur les origines biologiques de l’homosexualité féminine, pour converger après sur des descriptions précises et étonnantes sur les lesbiennes de son temps. Al Tifachi explique donc que ces femmes « utilisent excessivement les parfums et sont pointilleuses sur la propreté et l’hygiène. Elles n’achètent que les meubles, les mets et les bijoux les plus chers et les plus rares ». L’élégance et le raffinement des femmes qui s’adonnent à l’amour saphique, selon cette description, laissent croire qu’il s’agit surtout de personnes qui appartiennent à des classes sociales aisées. Al Tifachi n’épargne pas son lecteur de certains détails concernant les positions sexuelles et les techniques de coït chez les lesbiennes. 
A l’instar d’Al Jahiz dans son livre sur les avantages comparatifs de l’homosexualité masculine et l’hétérosexualité, Al Tifachi réserve quelques pages au débat entre les amatrices du lesbianisme et ses détracteurs. Risque écarté de grossesse et discrétion en cas d’adultère sont cités parmi les avantages et « les vertus » de l’homosexualité féminine. 

L’une des références historiques sur le saphisme est l’œuvre d’un auteur marocain du 16éme siècle. Il s’agit de Mohammad Hassan Al Wazzan, originaire de Fès et enlevé par des corsaires italiens qui l’ont vendu au Pape. Ce dernier l’a adopté comme fils en le baptisant sous le nom de Jean Léon de Médicis, dit Léon l’africain. Dans son livre La description de l’Afrique, Hassan Alwazzan décrit les ruses des lesbiennes dans la ville de Fès pour séduire d’autres femmes souvent mariées. Ecrivant son livre à l’intention du maitre du Vatican, Hassan Alwazzan relate, avec une ferme condamnation mélangée avec une touche d’humour, les stratagèmes de ces femmes. Dans le même livre, le diplomate pontifical originaire de Fès, décrit une autre catégorie d’homosexuels qu’il a croisé en territoire marocain, celle des travestis. « Ce sont des hommes qui s’habillent en femmes et portent des ornements comme les femmes. Ils se rasent la barbe et vont jusqu’à imiter les femmes dans leur façon de parler…Chacun de ces êtres abjects, a un concubin et se comporte avec celui-ci exactement comme une femme avec son mari » s’enflamme Hassan Al Wazzan. Qui a dit donc que l’homosexualité est une « invention » occidentale ?



source atourabi.com

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