Majestueuses, les premières images du film El Gusto donnent à voir Alger dans toute sa splendeur : accrochée à la colline, face à la mer, la Casbah semble impénétrable. C’est dans ces ruelles étroites que se promène l’architecte Safinez Bousbia en 2003, lorsque démarre l’aventure El Gusto. Née à Alger, elle a grandi en dehors du pays de ses parents et visite la capitale algérienne pendant quelques jours. En entrant dans une boutique pour ramener un souvenir, elle remue ceux du miroitier, qui déballe d’une caisse poussiéreuse des photos jaunies et une histoire fascinante.
Bande annonce du film "El gusto"
Cette histoire, c’est celle de l’Alger des années 50 et de sa bande-son : le chaâbi, la version populaire de la musique arabo-andalouse, mélangée à des racines berbères. Fredonnée par les dockers, les putains, les maquereaux, les ouvriers, le chaâbi est enseigné par le maître, l’irremplaçable El Anka, à près de deux cent jeunes musiciens juifs et musulmans, dans une cave du conservatoire d’Alger au début des années 50. Le miroitier, l’accordéoniste Mohamed El Ferkioui, a fait partie de ce cours d’exception, mais a perdu de vue ses amis musiciens depuis l’indépendance, en 1962. Emue par son récit, Safinez Bousbia s’engage à réunir l’orchestre, dispersé par le temps et l’histoire. Elle met deux ans à retrouver les artistes, éparpillés entre Alger, Marseille et Paris, s’entoure de Damon Albarn, de Sodi (producteur de Fela Kuti ou Rachid Taha) et du fils du maître El Anka pour enregistrer deux disques, investit une bonne partie de l’héritage de sa famille dans le projet, finit par lever des fonds,recrute de jeunes musiciens et produit une tournée de l’orchestre El Gusto, soit 42 musiciens en tout.
Le documentaire raconte cette aventure émouvante, à travers les destins multiples de musiciens septuagénaires, qui se souviennent avec des yeux de jeunes hommes du temps que les moins de soixante ans ne peuvent pas connaître… A l’époque, toute la Casbah écoutait du chaâbi, faisait la fête, juifs et musulmans jouaient ensemble et chantaient en arabe. Jusqu’à ce que la guerre de libération ne démarre en 1955, obligeant les musiciens à s’enrôler, passer des armes ou organiser de faux mariages dans .la Casbah pour que le FLN puisse se rencontrer incognito… Puis arrive la rigueur de la guerre, avec son couvre-feu, et enfin l’indépendance, lors de laquelle les musiciens juifs sont priés de choisir entre « la valise et le cercueil ». Beaucoup s’exilèrent à Paris, à Marseille, et laissèrent à Alger une partie de leur passé. Coup dur pour la musique chaâbi, qui ne se remettra jamais vraiment de cet arrachement. Avec bonheur, les retrouvailles d’El Gusto bouclent la boucle de l’histoire, presque cinquante ans après la signature des accords d’Evian
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