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lundi 30 janvier 2012

les travestis de casa



lu dans le journal hebdo

Passé minuit, les grandes artères du centre-ville de Dar El Beïda appartiennent à ces drag queens pas comme les autres.

Ils s’appellent Foulla, Kerwilla, Tanjawiya ou Hassaniya. Divas prostituées bas de gamme qui défient estafettes de police, clochards et malfaiteurs pour offrir leurs “charmes” à des clients insatisfaits. Une clientèle hétéroclite, composée essentiellement d’hétérosexuels à la recherche de ces “homos” à l’apparence féminine, «de bisexuels ou d’hommes qui n’ont pas les moyens de se payer les services d’une prostituée, mais aussi des mecs tellement ivres qu’ils ne font plus la différence entre nanas et travestis», plaisante Hassaniya, Hassan de son vrai nom. Les travestis investissent deux grands boulevards du centre ville de Casablanca, Hassan II et Rachidi, «parce que c’est près du parc de la Ligue Arabe. Ainsi, on peut disparaître dans la nature à l’approche des policiers et c’est un endroit idéal pour un rapport sexuel discret», avoue Hassaniya en mâchant son chewing-gum. Les travelos, on peut également les rencontrer sur le Bd Mohammed V, Emile Zola, Bd d’Anfa et sur My Youssef, en face du consulat des Etats-Unis.

Communauté visible

Dans cet univers glauque et surtout dangereux, les alliances sont de mise. Les travestis forment une communauté visible, quoique sujette à des querelles intempestives, et ont de très bonnes relations avec les prostituées. Normal : ces hommes et ces femmes de la marge partagent le même terrain de chasse et n’hésitent pas à se passer l’info sur les rondes de la police. «Si un client me demande où il peut trouver une prostituée, je n’hésite pas à lui passer le téléphone d’une de mes copines. De toute manière, entre femmes, on s’entraide», lance joyeusement Rachida-Rachid qui offre ses services sur le Bd My Youssef. 

A Casablanca, le monde de la nuit se partage entre deux catégories. Les uns veulent claquer de l’argent, les autres sont à l’affût de ces derniers pour leur soutirer leur pognon. Flics, prostitués, travestis, tenanciers de bars et de cabarets, voleurs et chauffeurs de taxis, tout ce beau monde participe à cette chasse au fric. Ces travestis bon marché qui d’ailleurs n’ont rien à voir avec ceux qui sont entretenus par des clients bien placés, vivotent dans un univers violent. Quand ils se confient, ils dégagent une sensibilité somme toute bien féminine.
 
C’est qu’un travesti est bien plus qu’un homme déguisé en femme. C’est aussi une copie d'un original, d'un idéal qui pour le travesti, reste la femme, mais en plus fantaisiste. Le travelo s’épile, se maquille, s’injecte des hormones pour donner à sa poitrine l’apparence des seins, fait de la "lipo" pour avoir des fesses de femme. Côté vestimentaire, un travesti est également crédible… en femme bien sûr : jupes courtes ou tailleurs, escarpins et manteaux de fourrure. Ils adorent la lingerie avec ses strings, porte-jarretelles et autres collants. C’est pour cela que les travestis sont fiers de porter les surnoms de divas des boîtes de nuit ou drag queens. 

Seulement, les travestis de chez nous, ceux qui font les cent pas sur les avenues du centre-ville de Dar Beïda sont loin de représenter ce modèle-là. «Je fais mon possible pour avoir un style d’enfer. Mais, compte tenu de ma situation financière précaire, je me rabats sur les marchés aux puces», se plaint Rachida-Rachid qui se prostitue chaque nuit à l’intersection du Bd Rachidi et Hassan II à proximité du jardin qui porte le nom de «Nevada» et qui fait partie du parc de la Ligue arabe. Passé minuit, cet endroit devient le lieu de rencontre entre les travestis et leurs clients. Les voitures qui y passent ralentissent à la vue du prostitué. Les passes ont lieu dans les voitures ou sous l’ombre des arbres du jardin. Et les prix varient entre 20 DH et 100 Dhs, selon la prestation demandée.

histoires tragiques 

Ayant un penchant prononcé pour l’esthétique, les travestis prostitués de Casablanca conçoivent cette notion autrement. Quand ils évoquent les accessoires qui les rendent plus femmes qu’hommes, ils en parlent plus par nécessité que par plaisir. Normal : la loi de ce marché de la chair est bien dure. Le travelo use de tous les procédés pour paraître jeune, encore attirant. «Avec l’âge et l’usure des longues nuits, les clients deviennent de plus en plus rares. Le maquillage et les artifices vestimentaires nous permettent de faire face à la concurrence des plus jeunes», explique Hassaniya qui, pourtant, n’a pas plus de 30 ans. Ce qui les attriste, ce sont les balafres au visage, causées par l’agression d’un clochard ou les multiples arrestations dont ils font l’objet faute du fameux «mimi» (bakchich dans le jargon casablancais). 

Leurs histoires se ressemblent. Leurs parcours aussi. Avant de se retrouver dans la nature, ils ont été chassés de la maison après que leurs familles ont découvert leur penchant exagéré pour la féminité. Une fois dans la rue, ils se débrouillent comme ils peuvent pour survivre. Le seul boulot à leur portée n’est autre que la prostitution. «J’ai été éduquée comme une petite fille, un peu comme mes cinq soeurs. J’étais efféminé depuis mon enfance. A l’école comme dans le quartier, je faisais l’objet des pires railleries mais aussi de tous les abus. Mon père n’a pas hésité à me jeter dehors», c’est ainsi que Hassaniya décrit son enfance. Il quitte sa ville natale (Sefrou) pour s’installer à Casablanca. Commence pour Hassaniya ses premières aventures nocturnes et ses premières rencontres avec les autres travestis de la ville. «J’ai pu me dégoter une petite chambre dans l’ancienne médina que je partage encore avec d’autres amis. Le soir, il faut bien gagner sa croûte», avoue-t-il difficilement. Le «sriyef» (littéralement argent de poche) est derrière cette lugubre saga nocturne. C’est que le métier a ses risques et pas des moindres. Des rafles des flics (estafettes des arrondissements, GUS, police judiciaire et forces auxiliaires) aux agressions physiques et sexuelles des clochards et délinquants, un travesti débutant passera obligatoirement par la prison pour délit d’homosexualité qui, selon les dispositions de l’article 489 du Code pénal, prévoit des peines de prison allant de six mois à trois ans. C’est en taule que l’apprenti-prostitué apprend les secrets du métier, les coins les plus sûrs de la ville, comment gérer des policiers véreux et comment soutirer un max de fric aux clients. A la sortie de la prison, le jeune travesti apeuré devient un travelo professionnel. 

Welcome to the jungle

La dure réalité des travestis les pousse à adopter des méthodes radicales. Des prostitués homosexuels et travestis sont devenus plus violents. «Il y a ceux qui s’associent à des voleurs pour agresser des clients. D’autres brandissent une lame de rasoir et menacent de se faire mutiler le bras. Alors qu’il y a ceux qui ,une fois dans la voiture, s’approprient la clef de contact et ne la rendent que quand le client leur donne plus d’argent», raconte ce travesti qui préfère garder l’anonymat. Des clients qui veulent bien sûr rester anonymes et ne peuvent en aucun cas déposer plainte au commissariat. C’est ainsi que la nouvelle génération des travestis qui se prostituent dans les dédales casablancais est devenue plus agressive, moins timorée. Dans une voiture, dans le hall d’un immeuble ou dans ce qu’ils aiment bien appeler «hôtel moulana» (ruelles sombres ou impasses difficiles d’accès pour les agents d’autorité), ils s’associent aux «lakajas» (voleurs de service) pour une mise en scène où le perdant n’est autre que le client. Dans une ville qui couve les désirs secrets des uns et les destins tragiques des autres.

(source ke journal hebdo)

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