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vendredi 11 janvier 2013

Tunisie : "Je prendrai les armes s’il le faut", le livre qui résume l’état d’esprit d’un pays, et qui peut rectifier la trajectoire du Printemps arabe



Dalila Ben Mbarek Msaddek, 42 ans, avocate, est mariée et mère de trois filles. Après la révolution tunisienne, elle a cofondé le mouvement citoyen Doustourna, l’un des plus actifs aujourd’hui en Tunisie. Valérie Urman, 48 ans, journaliste indépendante, a dirigé le service « Société » du Parisien –Aujourd’hui en France et de France-Soir. Elle collabore au magazine Clés. A quelques jours du deuxième anniversaire de la chute de Ben Ali, leur livre résume l’état d’esprit de tout un pays. 

Dalila Ben Mbarak Msaddek n’avait jamais fait de politique, ne militait pas, s’était juré de ne prendre aucun risque. Rien ne la prédestinait à devenir une pasionaria du printemps arabe. Dalila Ben Mbarek Msaddek, avocate à Tunis, voulait oublier son enfance pauvre et exposée en s’élevant dans la petite bourgeoisie, en assurant le confort de ses trois filles, quitte à fermer les yeux sur les procès truqués, à ravaler la frustration du silence, l’humiliation des libertés confisquées. Sa vie a basculé le 14 janvier 2011 : la révolution tunisienne secoue brutalement le fatalisme, réveille l’espoir, le courage, l’énergie. Plus rien n’est impossible !

Mais derrière la liesse populaire et la frénésie du soulèvement surgissent l’angoisse et l’incertitude. Tandis que les islamistes accèdent au pouvoir, Dalila voit surgir l’impensable péril : les drapeaux noirs d’organisations salafistes violentes. Elle reçoit comme une gifle la montée en puissance de l’intégrisme religieux, les multiples remises en cause de l’égalité des sexes, des droits des femmes, de la transition démocratique.

Dalila incarne, avec des milliers d’autres femmes sorties de l’ombre, le rôle des nouveaux mouvements citoyens en Tunisie. La société civile s’est imposée comme le principal rempart contre l’islamisation de la rue et de l’Etat. Dalila y sacrifie sa vie de famille, délaisse son cabinet, vide ses économies. Avec une poignée de proches, elle fonde « Doustourna » (Notre Constitution) pour faire entendre la voix des simples citoyens, avec la conviction que chacun peut participer et jouer un rôle inédit face aux partis politiques et au pouvoir en place. Mais comment tenir dans l’amateurisme, sans relais financier et médiatique ?

Entrainé dans un tourbillon d’événements, son minuscule réseau va toucher, en quelques mois, des milliers de gens, de toutes conditions, à travers le pays, et devenir une organisation citoyenne de premier plan. Manifestations et sit-in ne suffisent pas. Il faut se retrousser les manches, aller parler aux femmes, dialoguer dans les villages, les usines, s’implanter dans les quartiers démunis, lancer partout des actions concrètes pour affronter les réalités quotidiennes. Dalila en ressort profondément transformée : « Ma vie, mes centres d’intérêts, mes priorités, mon standing, mon entourage, même mon physique, tout a complètement changé ».

Ce combat, pour la liberté et la dignité, est d’abord un combat de mère. Le témoignage de Dalila Ben Mbarek Msaddek éclaire l’engagement extraordinaire de milliers de femmes ordinaires, anonymes, acharnées à défendre l’avenir de leurs enfants. Deux ans après la chute de Ben Ali, alors que se profile l’échéance décisive d’élections présidentielles et législatives, elles qui croyaient vivre une révolution éclair s’organisent pour livrer une très longue bataille. Tandis que les magistrats ont manifesté le 10 janvier pour exiger l’indépendance de la justice, que les médias ferraillent pour la liberté d’expression, les organisations citoyennes ont décrété une « semaine de la colère ». Le « 14 janvier » n’est pas encore un jour de fête.

C’est un livre à lire absolument, un témoignage  dont on ressort avec une question : et si le Printemps arabe n’avait pas encore dit son dernier mot ?

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