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lundi 29 juillet 2013

Brahim Naït-Balk: Un homo dans la cité – La descente aux enfers puis la libération d’un homosexuel de culture maghrébine



Brahim Naït-Balk anime sur Fréquence Paris Pluriel  l’émission radiophonique Homomicro, dont il fut le créateur et dans laquelle il s’investit depuis dix-sept ans. Par ailleurs il est aussi entraîneur du Paris Foot Gay , équipe qu’il a créée avec des amis et dans laquelle jouent aussi bien des homos que des hétéros. On peut signaler au passage que l’an dernier, Paris Foot Gay  devait jouer contre le club de Créteil Bébel, composé uniquement de joueurs musulmans. Quand ces derniers ont appris qu’ils allaient être confrontés à des footballeurs gays, ils ont opposé un refus pur et simple, arguant du fait que l’homosexualité et l’islam sont, à leurs yeux, antinomiques. Bien qu’il y ait eu force tapage médiatique et controverses sur l’illégalité de cette mesure d’exclusion, la rencontre n’eut pas lieu en fin de compte. Passons … Pour Brahim dont le but dans la vie est d’ouvrir les ghettos, de partager les ressemblances plutôt que d’opposer les différences, la déception a dû être amère.
Ces deux activités de Brahim relèvent du bénévolat. Pour gagner sa vie, il assume la fonction de directeur départemental handisport dans les Hauts-de-Seine. C’est grâce à l’association Perce-Neige, fondée par Lino Ventura pour accueillir les personnes trisomiques, qu’il a pu décrocher ce poste. Apparemment la vie de Brahim semble donc stable et ses diverses activités doivent lui procurer une réelle satisfaction. Mais avant d’en arriver à ce point d’équilibre, qui ne peut jamais être considéré comme définitif, il a dû passer par un vrai parcours du combattant, ou plutôt du survivant devrait-on dire.

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Né à St-Etienne en 1963, fils de parents originaires du Maroc, Brahim est l’aîné d’une famille de sept frères et soeurs. Son père travaillait dans la mine, à l’instar de nombreux autres travailleurs maghrébins installés dans la région. Bien qu’élevé dans un foyer peu religieux, sa différence sexuelle, perçue tôt mais sans pouvoir la cerner ni l’identifier, constitua pour lui un handicap majeur: “Consciemment, à l’époque, je n’avais aucun souci avec l’islam. Les tabous de la tradition et de la religion pesaient sur moi de tout leur poids, mais en fait je ne le savais pas. J’avais tellement intégré les tabous sur la sexualité qu’ils faisaient partie de moi”. Baignant dans l’ignorance, et surtout un sentiment de honte d’autant plus douloureux qu’il s’instillait de façon sournoise, silencieuse et sans relâche, Brahim se trouvait dans une situation qu’il juge rétrospectivement proprement paralysante. Mais alors qu’à St-Etienne, et quelques années plus tard à Montceau-les-Mines, en Bourgogne, ce sentiment de singularité honteuse pouvait encore “s’accommoder du réel”, pourrait-on dire, il en advint tout autrement lorsque la famille s’installa dans une cité de la petite couronne parisienne, à Aulnay-sous-Bois plus précisément.
C’est ici que commença pour lui une véritable descente aux enfers. Le chapitre intitulé “La cité de la peur” dissèque sans complaisance l’anatomie d’un ghetto avec ses  codes et ses rites, ses interdits innombrables, sa violence psychique et physique endémique… Pour Brahim, les petits caïds qui y faisaient régner leur loi, et autres bourriaudeurs  se pliant servilement à leurs ordres, offrent un tableau consternant. “J’’étais atterré par leur façon de vivre: ils tournaient en rond. Ils ne travaillaient pas et ne faisaient pas d’études. Sans envies, sans projets, ils ne sortaient jamais, ni du quartier, ni de leur milieu. Pour eux le monde extérieur était peuplé d’ennemis”. Ayant très tôt détecté la différence de comportement de Brahim, ces hommes de main ne se contenteront pas de le harceler, mais poursuivront leur stratégie d’humiliation et d’encerclement jusqu’au stade ultime: les viols collectifs et réitérés dans une cave. A ce niveau-là, certaines pages d’Un homo dans la cité  peuvent sans exagérer être apparentées à une version gaye du livre-témoignage de Samira Bellil, Dans l’enfer des tournantes(1). Dans chacun de ces ouvrages, on voit la philosophie en action de ces héros de la zone, une philosophie  réduite à un principe très simple: “J’encule avant qu’on m’encule”!… Le plus ahurissant dans leur comportement criminel, c’est que cela ne les empêche nullement d’endosser une attitude victimaire. Car si d’aventure une de leurs proies sexuelles osait les dénoncer, ils se verraient eux-mêmes comme les victimes d’une dénonciation qui contrevient à leur loi, celle de l’omerta et de la nécessité de punir toute personne dérogeant à leur “ethos”.
Alors, comment Brahim a-t-il pu s’en sortir, sinon indemne, du moins capable de rebondir? Indéniablement, il est doté d’une extraordinaire résilience et d’un courage qui forcent l’admiration et le respect. C’est cela qui va lui fournir les moyens de transformer son désespoir et sa colère en action et de reprendre sa vie en main. A force de patience et de persuasion, il a aussi su amener sa famille, sinon à accepter sans condition, du moins à tolérer sa différence sexuelle. De plus, au sein de sa famille, il a eu la chance de pouvoir s’ouvrir à sa mère, la personne qui, à ses yeux, lui est la plus chère au monde. Certes, Brahim est conscient de l’emprise qu’ont les mères maghrébines sur leurs fils, quelle que soit la sexualité de ces derniers d’ailleurs. Mais ce n’est pas sa mère à lui qui “aurait préféré que son fils fût drogué, criminel, violeur…, tout sauf ça”, c’est-à-dire pédé. C’est le genre de propos que les chercheurs allemands Bochow & Marbach ont entendu de la bouche de mères musulmanes, qu’elles fussent turques ou maghrébines (2).
La mère de Brahim, au contraire de son père, n’a jamais abdiqué sa responsabilité parentale, et a fait preuve au final d’une belle dose de bon sens et d’amour maternel qui se donne sans compter: “Même si elle est possessive, l’’amour sans limites qu’elle me voue est venu à bout de son éducation et de ses préjugés”. Bel exemple d’humanisme et d’altruisme dont Brahim semble avoir hérité! En effet, vu les circonstances terribles auxquelles il a été confronté, d’autres dans son cas auraient peut-être sombré dans un désespoir sans fond ou une haine inextinguible des autres et de soi-même.
De par ses qualités humaines et son expérience de descente aux enfers, calvaire dont il s’est sorti en dépit de tout, Brahim a acquis une capacité d’auto-analyse dont la pénétration et la justesse sont palpables à travers tout le livre. Quand il dit par exemple que “dans ce genre d’environnement, dès que vous n’êtes pas une brute virile, dès que vous donnez le sentiment de réfléchir un peu, vous devenez une proie pour les caïds”, il capte en une seule et simple phrase toute l’aliénation des cités-ghettos où vouloir s’émanciper de la tribu -oui, c’est bien le mot approprié- devient un acte de courage, alors que les brutes primaires susmentionnées considèrent cela comme un acte de trahison. De même, dans le chapitre traitant “De la difficulté d’être musulman et homo”, il ne perd pas de vue qu’une image, un exemple concret peuvent dire à eux seuls tout autant qu’un long discours. Ainsi à chaque fois que Brahim, lui la dalepé (3), le pédé qui de surcroît n’est ni croyant ni pratiquant, se fait “surprendre” en train de manger un sandwich durant le ramadan, il a droit invariablement à l’injure formatée du type “Mais t’es un traître, un sale Français, un Juif…”. Injure qui en dit long sur celui qui l’’émet!
Ecrit dans une langue belle et précise, aussi claire et rigoureuse que la pensée qu’elle véhicule, Un homo dans la cité  fait montre d’une réflexion sans faille sur la reproduction des schémas d’oppression et d’auto-répression. Mais le message qu’il véhicule est aussi une exhortation au courage, surtout du courage d’être soi-même. Ce livre admirable témoigne de  manière extrêmement convaincante que, tôt ou tard, une telle attitude finit par porter ses ses fruits.

Brahim Naït-Balk: Un homo dans la cité – La descente aux enfers puis la libération d’un homosexuel de culture maghrébine (Calmann-Lévy, 2009, 144p, 12€ ).
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(1) Folio-documents n°12.
(2) Michael Bochow & Rainer Marbach:
Homosexualität und Islam (Männerschwarm Skript Verlag, Hambourg, 2003).
Ce livre contient des enquêtes, aussi bien en Allemagne qu’en Turquie, sur des hommes turcs à pratiques homosexuelles et les conséquences induites par cet état de fait sur leurs rapports avec leur famille. Les enquêteurs ont aussi collaboré avec des chercheurs français et étendu leurs investigations auprès de familles maghrébo-musulmanes en France.
(3) traduction en verlan de “pédale”.

 source : Cet article a été publié initialement en mars 2010 dans le n° 283 de la revue belge Tels Quels .

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