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jeudi 21 novembre 2013

Belgique : La Cour constitutionnelle suspend les fouilles au corps systématiques de détenus

Le 30 octobre 2013, par son arrêt n° 143/2013, la Cour constitutionnelle a décidé de suspendre une disposition législative qui autorisait, depuis peu et dans certains cas, la systématisation des fouilles au corps en prison.
Marie-Aude Beernaert, Professeur à l’Université catholique de Louvain et présidente de la Commission Prisons de la Ligue belge des droits de l’homme, nous en dit plus.
1. Pour bien comprendre les enjeux de l’arrêt du 30 octobre dernier, il convient d’expliciter ce qu’est exactement une fouille au corps, de rappeler quels changement avaient été introduits dans la réglementation applicable en la matière et enfin de préciser quelle est la portée d’un arrêt de suspension prononcé par la Cour constitutionnelle.
Les fouilles au corps : une « pratique d’humiliation massive »
2. La fouille au corps est en réalité une fouille à nu qui permet, pour reprendre les termes de la loi, « d’inspecter de l’extérieur le corps et les ouvertures et cavités du corps ». La procédure, détaillée dans les instructions de l’administration pénitentiaire, prévoit que le détenu est invité à se déshabiller complètement, tourner sur lui-même, se pencher en avant et fléchir plusieurs fois les genoux.
Plus qu’une formalité désagréable, c’est une pratique humiliante, violemment intrusive dans l’intimité des personnes et très avilissante.
3. Comme le rappelait le rapport d’activités 2011 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté en France, « on se déshabille en général assez peu devant autrui : par amour ou par nécessité de soins, mais toujours volontairement ». En prison, ce n’est pas le cas : on peut ordonner à un être humain de se dévêtir devant des tiers. Pouvoir exorbitant s’il en est, qui consiste à désarmer les détenus, les rendre vulnérables et leur rappeler de quel côté se trouve l’autorité. Certains détenus vous diront qu’une fouille à corps, c’est l’acte qui vous fait passer du statut d’être humain à celui de « taulard »…
D’une mesure individuellement motivée à une pratique systématique
4. Lors du vote, en janvier 2005, de ce que l’on a appelé la « loi Dupont » ou « loi de principes » sur le statut juridique des détenus du 12 janvier 2005, il avait été décidé que les fouilles au corps ne pourraient plus se pratiquer que moyennant une décision individuelle et motivée du directeur de la prison, prise sur la base d’indices propres à un détenu donné, laissant penser que la seule fouille de ses vêtements n’était pas suffisante pour vérifier qu’il n’était pas en possession d’objets dangereux ou interdits.
Ce régime avait toutefois été récemment modifié par une loi du 1er juillet 2013, qui avait prévu de rendre les fouilles au corps systématiques dans trois cas : à l’entrée des détenus dans la prison, préalablement au placement dans une cellule sécurisée ou à l’enfermement dans une cellule de punition, et après les visites reçues dans la salle commune. C’est cette modification législative qui vient d’être suspendue par la Cour constitutionnelle, en raison de sa contrariété avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui interdit les traitements inhumains et dégradants.
D’après la Cour européenne des droits de l’homme en effet, les fouilles au corps peuvent, certes, se justifier parfois pour des motifs sécuritaires, mais il y a par contre violation de l’article 3 de la Convention européenne lorsqu’elles sont pratiquées de manière systématique et imposées à des détenus sans justification précise tenant au comportement des intéressés.
Retour au régime antérieur, dans l’attente d’un arrêt sur le fond
5. L’arrêt du 30 octobre dernier a été rendu suite à une demande de suspension du nouveau régime de fouilles. Une telle demande peut être introduite en complément d’une demande d’annulation d’une loi si des moyens sérieux sont invoqués à l’appui du recours et que l’application immédiate de la norme attaquée risque de causer un préjudice grave difficilement réparable. L’arrêt au fond devra, quant à lui, être rendu dans les trois mois. Tout porte à croire qu’il ira dans le même sens et que la disposition attaquée sera finalement annulée, toujours en raison de sa contrariété avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
6. Dans l’attente, c’est le régime de 2005 (autorisant les fouilles au corps uniquement sur la base d’une décision individuellement motivée du directeur) qui redevient applicable. On ne peut que s’en réjouir, tant il est vrai que le fait de pratiquer de manière systématique et sans discernement des fouilles portant atteinte à la pudeur et la dignité des personnes ne peut que les conduire à la révolte ou au désespoir. Une fouille à nu non justifiée par des raisons individualisées est une forme de déni d’humanité. Et ce n’est jamais en niant l’humanité de (certains de) ses membres qu’une société assure sa protection…

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